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Les maîtres de présence

Dans cette section "Les maîtres de présence", vous trouverez des hommes de théâtre et d'arts, mais aussi des pédagogues et des anthropologues du XXe siècle qui ont enrichi nos connaissances sur les processus de la présence en scène :

Eugenio Barba

Jerzy Grotowski

Marcel Jousse

Mei Lanfang

Vsevolod Meyerhold

Constantin Stanislavski

Antoine Vitez

Jean Mercure

Tania Balachova

En effet, si la connaissance par les sens est essentielle à tout artiste qui s'intéresse à la présence en scène, la connaissance de la tradition et de ceux qui ont fait avancer nos compréhensions n'est pas moins importante.

Meyerhold écrivait à ce propos : "Lisez plus ! Lisez sans relâche ! Lisez ! Lisez avec un crayon en main ! C’est indispensable." Ou encore : "Entraînement ! Entraînement ! Mais si c’est un entraînement qui exerce seulement le corps et pas la tête, merci bien ! Je n’ai pas besoin d'artistes qui, pour pouvoir bouger, ne savent pas penser ».

barba

Eugenio Barba, metteur en scène et pédagogue italien aujourd'hui âgé de 85 ans, est le fondateur de l'Odin Teatret et de l'International School of Theatre Anthropology (ISTA), à Holstebro au Danemark. 

Entre 1961 et 1964, il étudie la mise en scène en Pologne, passant trente mois avec Jerzy Grotowski et publiant en 1965 le premier livre sur l'approche novatrice de Grotowski : À la recherche du théâtre perdu. Barba est aussi l'auteur des livres "Le Canoë de papier" et "L'Énergie qui danse, Dictionnaire d’anthropologie théâtrale" (avec Nicola Savarese).

Elève et ami de Jerzy Grotowski, il a modifié l'approche du travail du comédien initée par Grotowski. Barba estime que le théâtre est l'art du spectateur et que la matière première du théâtre n'est pas l'acteur, l'espace ou le texte, mais la tension, le regard, l'écoute, la pensée du spectateur.

A son tour, comme Stanislavski, Meyerhold et Grotowski avant lui, il se demande : "« Mais en pratique, que faire ? Comment aider l'acteur à se donner, à brûler, à aller au-delà de lui-même tout en effaçant l'artisan ? » . A celui qui venait à lui pour apprendre une technique, Barba répondait  : « Ici tu trouveras des tuyaux, des conduits, quelques citernes, mais tout est à sec : ton eau, personne ne peut te la donner ».

Barba a pointé le risque de formatage des artistes dans les écoles de théâtre : « Ils s'étaient obstinés à faire ce qu'à mes yeux il fallait absolument éviter : apprendre des styles, c'est-à-dire le résultat de techniques appartenant à d'autres ». Il préconisait de savoir apprendre à apprendre, « condition pour dominer son propre savoir technique et ne pas être dominé par lui ». Cependant, il ne suffit pas d'avoir un esprit critique : « Naturellement, la rupture des automatismes ne signifie pas expression. Mais sans rupture des automatismes, il n'y a
pas d'expression ».

Les acteurs en Occident, a rappelé Eugenio Barba, n'héritent ni d'une tradition fondée sur un savoir technique, ni d'un répertoire de bonnes pratiques à la façon orientale. L'acteur occidental a du mal à trouver des bases capables de lui fournir une expressivité, sa culture étant étrangère à l'usage quotidien du corps. Barba estime que l'acteur peut obtenir le moyen de créer ce qu'il nomme le « corps extra quotidien » ou « corps fictif » jusqu'à construire une expressivité scénique dont la qualité de présence n'a rien à voir avec la gestuelle quotidienne. Il s'agit d'une qualité extraquotidienne de l'énergie qui mène la présence de l'acteur à son sommet de potentialités. 

Il existe en effet ce que Barba appelle « les principes qui reviennent », c’est-à-dire des lois fondamentales de l'expressivité de l'acteur. Barba a développé des techniquesd'entrainement consistant en des « procédés physiques qui semblent fondés sur la réalité connue, mais selon une logique qui n'est pas immédiatement reconnaissable ». Son approche aboutissait à créer « une tension et une différence de potentiel irriguées par de l'énergie ». Sur cette question de l’énergie, Barba estime que « Pour l'acteur l'énergie est un comment, et non un quoi. Comment se déplacer. Comment rester immobile. Comment mettre en vision sa propre présence physique et la transformer en présence scénique et donc en expression. Comment rendre visible l'invisible ».

GROTOWSKI

Jerzy Grotowski, né en Pologne en 1933 et mort à Pontedera (Toscane, Italie) en 1999, est un metteur en scène polonais, théoricien du théâtre, pédagogue. 

Après un séjour à Moscou où il put recueillir les leçons des derniers héritiers de Stanislavski et après ses premiers voyages en Asie centrale, il devint en 1959 metteur en scène du « Théâtre des 13 Rangs » dans une petite ville de Pologne. Là, avec une poignée d'acteurs rejetés par les Conservatoires de Cracovie ou de Varsovie, Grotowski met en place un laboratoire d'acteurs qui se consacrait à la recherche de l’art de l’acteur. En 1962, le groupe change de nom et transfère son siège dans la ville universitaire de Wrocław : il s'appellera désormais le Théâtre Laboratoire (Teatr Laboratorium). Grotowski et ses acteurs jouent plusieurs pièces considérées comme des chefs d'oeuvre au début des années 60. Jean-Louis Barrault fait venir Grotowski et "Le prince Constant" à Paris en 1966 : la pièce fait sensation et le monde découvre le théâtre pauvre de Grotowski et son Théâtre Laboratoire.

Les spectateurs en petit nombre partageaient le même espace scénique que les acteurs. Pas de décor, pas d'effets de lumière, pas de maquillage, pas de costumes. Pour Grotowski, l'acteur est le tout du théâtre et le théâtre est là pour favoriser son passage à un degré d'humanité plus vrai que le degré quotidien. Tout se jouait donc sur l'intensité dramatique et physique d'acteurs supérieurement entraînés, sur les qualités expressives de leur présence dans l'espace. Grotowski a pour objectif de (re)trouver l'essence même du théâtre, et pour lui elle se trouve dans l'organique, c'est-à-dire dans l'acteur. Pour Grotowski, l'entraînement physique de l'acteur était un moyen pour accéder à autre chose de plus subtil, de méta-corporel. Il pousse ses acteurs à l'extrême pour diminuer les résistances intérieures de ceux-ci : c'est la "via negativa". Le don total de l'acteur pour le jeu organique et méta-corporel, que le maître polonais nomme alors translumination, fait de lui un « acteur saint ». L'acteur est une fin, alors que le rôle est secondaire.

En 1969, Grotowski se lance dans un projet intitulé « Théâtre des Sources ». Il séjournera au Nigeria, en Haïti, en Amérique centrale, en Inde. Il réunit et fait travailler ensemble des représentants des plus diverses et anciennes traditions rituelles et mystiques des cinq continents. En 1982, il rompt avec la Pologne communiste et trouve asile aux États-Unis, en Californie, où il enseigne à l'Université. Il y poursuit le projet « Théâtre des sources » avec des témoins qu'il fait venir de Haïti, de Bali, de Colombie, de Corée, de Taiwan.

À partir de 1986, Grotowski s'installe définitivement à Pontedera en Toscane, où il dirige un « Workcenter ». Il reçoit de nombreux hôtes du monde entier, dont Peter Brook et ses acteurs. Il s'agit toujours de théâtre, mais comme l'a écrit Brook, de théâtre comme « véhicule », un véhicule qui entraîne ses passagers moins à représenter des rôles qu'à se connaître eux-mêmes. Les exercices du Workcenter se sont notamment concentrés sur la réminiscence de chants anciens dormant dans la mémoire ainsi que sur l’exploration et le partage de l’expérience intérieure dont ils peuvent être le point de départ. Grotowski s'intéressait à toutes les formes de rituels, d'ascèses et de pratiques contrôlées de la transe en vue de tendre vers une forme de théâtre sacré. Les rituels afro-caraïbéens et le vaudou haïtien, notamment, lui ont permis de découvrir une approche du souffle, du chant, du corps en mouvement au service d'une forme d'art dépassant les clivages entre théâtre, danse, chant, rituels, méditation...

Jerzy Grotowski a été titulaire de la chaire d'Anthropologie théâtrale au Collège de France de 1997 à 1999. Son héritier et légataire artistique est Thomas Richards, directeur du Workcenter de Pontedera.

Ancre Barba E
Ancre Grotowski
Ancre Jousse

JOUSSE

Marcel Jousse (1886 -1961) est un pédagogue et anthropologue qui a en particulier étudié le geste humain, l'oralité et le rythme. 
Jousse était un enfant de la campagne en prise directe avec la riche culture orale de la Sarthe. Devenu universitaire à Paris, il observe que les chercheurs de son temps dissocient les dimensions de l’être humain – l’un étudie la mémoire, le second le langage, le troisième le mouvement, etc. Marcel Jousse met en avant pour sa part la cohérence globale de l’humain et cherche comment "penser le tout de l’expression humaine". Depuis l’éveil de l’enfant sur le sein de sa mère, l’être humain grandit mieux si ne sont pas dissociés l’esprit et le corps, la psychologie et la physiologie, le rythme et la mémoire, le geste et l’intelligence.
Son approche est innovante et peu conventionnelle, d'ailleurs il se dit « anthropologiste » afin de se démarquer des pratiques des anthropologues. Il crée une science nouvelle, l’ « anthropologie du geste » où sont étudiés les rapports du geste avec les mécanismes de la connaissance, de la mémoire et de l’expression. 
Un axe important de l'anthropologie du geste est de considérer qu'il existe une qualité de mouvement où nous n'agissons pas, mais où nous sommes agis (triphasisme « L'agent-agissant-l'agi »)
Les compréhensions de Jousse lui sont venues par "intussusception" (intus, mouvement au-dedans de soi et suscipere, cueillir), selon le mot qu'il a donné à la connaissance "par le dedans". Pour lui, « connaître, c'est intussusceptionner pour prendre conscience, et c'est cette prise de conscience qui est science ». C’est dans sa vie que tout s’élabore pour Jousse, de façon d’abord non-consciente quand il était un enfant des campagnes sarthoises, les livres et les rencontres apportant ensuite des confirmations. Jousse désigne clairement l’observation de lui-enfant comme source principale de ses recherches. Il reconnait certes l'influence de plusieurs maitres (Marcel Mauss, notamment), mais les voit comme des "maitres confirmateurs". Il aura d'ailleurs cette réflexion : "La seule chose que vous pouvez faire, les mères : protégez cette unicité de votre enfant comme ma mère a protégé mon unicité. Et pour c’est pour cela que je suis là, ne dépendant d’aucun maître."

Pour Jousse, toute activité de recherche suppose une forte individualité, et aussi un travail d’équipe. Il distingue par ailleurs les inventeurs et les découvreurs, ces derniers étant rares : "Ah, c’est qu’il est plus facile d’inventer en combinant le Réel, que de découvrir du Réel qui n’a pas encore été vu dans ses éléments premiers".

Les citations ci-dessus sont extraites du site web de l'association Marcel Jousse : http://www.marceljousse.com et de l'ouvrage de Marcel Jousse, L'Anthropologie du geste, Gallimard, 1974.
 

Ancre MeiLanfang

mei lanfang

Mei Lanfang 梅兰芳 est un artiste chinois né le 22 octobre 1894 et mort le 8 août 1961. Formé par le maître Wang Yaoqing, il fut le premier à faire connaître hors de son pays l'art de l'Opéra de Pékin.
Issu d'une famille d'acteurs, Mei Lanfang commence son apprentissage dès l'âge de 8ans comme le veut la tradition qui se perpétue encore aujourd'hui, à un rythme de dix heures par jour.
Pendant sa carrière, il incarne une centaine de rôles différents, dont de nombreux rôles de femmes ainsi que le voulait la coutume. C’était un chanteur, danseur, acrobate et acteur accompli, également innovant dans la scénographie, la partition musicale et le maquillage.
La renommée de Mei Lanfang gagna dans les années 30 les États-Unis, le Japon et l'URSS où l'Opéra de Pékin présenta ses spectacles. En 1930 aux États-Unis, sa tournée est un triomphe. La presse l'encense, les maires des grandes villes l'accueillent, les universitaires aussi (2 titres de docteur honoris causa) et les stars font de même. Il sera l'invité de Cecil B. de Mille, Douglas Fairbanks, Mary Pickford et Charlie Chaplin dont il deviendra un ami proche. 
En cinquante ans de carrière, Mei Lanfang concilia la maîtrise qu’il avait acquise et le travail sur des techniques nouvelles. Son style  innovant autant que respectueux de la tradition fut appelé « l’École Mei ». Après 1949, il fut directeur général du Théâtre National de l’Opéra de Pékin, directeur de l’Institut de recherche sur l’Opéra chinois et vice-président de la Fédération de littérature et d’art de Chine.

Son voyage en Russie en 1935 a fait date dans l'histoire du théâtre : Mei Lanfang et son "Nouveau théâtre des anciennes formes" ont sidéré Stanislavski, Meyerhold, Craig, Brecht, Eisenstein, Tolstoï, Gorky et bien d'autres. Le spécialiste de l'œuvre de Mei Lanfang, Georges Banu, a écrit un article (voir réf. plus bas) dont sont extraits les éclairages suivants :

Dans le contexte de crise que traversait le théâtre occidental,  Mei Lanfang est apparu comme la preuve concrète d'un rêve d'acteur pour tout metteur en scène ou théoricien du théâtre. L'acteur occidental délaisse globalement les ressources du corps, tandis que l'acteur oriental déploie son art à l'intégralité du corps : celui est entraîné dès son enfance. Mei Lanfang a fait dès l'âge de 8 ans de la pratique vocale, de la danse, de l'acrobatie.

Tout cela ne sert qu'à l'assouplissement préliminaire du comédien. La spécialisation commence et dès lors, l'entraînement diffère selon le rôle pour lequel on se prépare sous la surveillance des maîtres. La tradition agit comme contrôle car sans elle, dit Mei Lanfang, "l'artiste serait capable d'inventer des choses qui viennent de sa tête."

Cependant, la tradition ne se perpétue pas aux dépens de la créativité : le théâtre oriental accepte le nouveau, mais seulement après l'avoir mis à l'épreuve du passage.  Le passé ne censure pas, il vérifie seulement :  jouer selon la tradition puis développer son innovation à partir de l'ancien. "Accord" (tradition) et "traversée" (innovation), voilà les opérations propres à l'artiste chinois. L'Ancien est le gardien non pas de la coutume mais de sa qualité. Ainsi le comédien innove sous le contrôle d'un arbitre. Stanislavski a déclaré: «M. Mei Lanfang a appris la liberté des mouvements selon les lois de l'art.» Liberté et contrainte, mémoire et individualité. 

Par ailleurs, le jeu de Mei Lanfang, rapporte Eisenstein, s'organise autour de l'image. Mei Lanfang et l'opéra de Pékin font du théâtre une manifestation de la beauté. Pour suggérer la pauvreté, remarque Brecht, "on coud çà et là sur des habits de soie des pièces de couleur différente, mais coupées aussi dans la soie."

Enfin, il faut parler de la place du spectateur dans le théâtre chinois. Le public chinois adopte une attitude plus détendue qu'en Occident : entre lui et la scène s'installent des rapports analogues à ceux d'une manifestation sportive. La salle du théâtre chinois renvoie tout à la fois au stade et au club de jazz, espaces où la corporalité du spectateur n'est pas niée. Nourriture,  thé, tabac, blagues et commentaires à haute voix : l'atmosphère est tout autre.

Voir pour plus de détails : Georges Banu, Mei Lanfang : procès et utopie de la scène occide… – Jeu – Érudit (erudit.org)

Ancre Meyerhold

meyerhold

Vsevolod Meyerhold, né le 28 janvier 1874 et mort le 2 février 1940 en prison à Moscou, est un dramaturge et metteur en scène russe. Meyerhold était d'une famille russe allemande de la Volga russifiée. Il se convertit du luthéranisme à l'orthodoxie à l'âge de 21 ans, adhéra à la révolution russe, fut nommé en 1922 directeur du Théâtre de la Révolution, mourut victime des purges staliniennes.

Il commence sa carrière d'homme de théâtre au Théâtre d'Art de Stanislavski à Moscou, met au point une méthode novatrice d'entraînement de l'acteur à partir de la biomécanique et prend ses distances avec la méthode psychologique de Stanislavski. En s'inspirant du théâtre japonais, de la danse, de la commedia dell'arte, il invente un jeu d'acteur nouveau et fait du corps le premier instrument de l'artiste, se révélant « à l'avant-garde de la recherche scientifique sur le travail du comédien, dont le corps, accompli et entraîné comme les doigts du pianiste qui fait ses gammes, est source d’expressivité, producteur d’émotion et de pensée ».

Meyerhold prônait une approche rigoureuse du métier d'artiste, tel un expérimentateur des données de l'espace théâtral dont dépend le jeu. Il a posé en 1913 les bases de la biomécanique, véritable laboratoire de physicalité faisant du comédien le coeur de sa recherche. La biomécanique de Meyerhold était une série d’exercices méthodiques et rigoureux qui conduisaient peu à peu l’acteur à prendre conscience que le jeu de l’acteur est un « art de la mise en relation » : relation à soi (maîtrise du corps) et relation à autrui (acteurs et spectateurs). L’acteur n’y est pas un simple exécutant, il est responsabilisé et c’est en auteur du spectacle qu’il monte sur la scène, au même titre que le metteur en scène. C’est le corps et non le texte qui occupe le centre, et avec lui, l’acteur. Biomécanique : équilibre pris sur l’instable, inconscience atteinte dans une extrême maîtrise, dissonance et harmonie - tels sont les contraires sur lesquels se construit cette recherche meyerholdienne d’un corps nouveau, d’une pratique inventant un espace. Selon Meyerhold, la perfection du mouvement ne peut être atteinte que dans la plus parfaite inconscience - animaux, marionnettes - ou dans la plus totale conscience. 

Béatrice Picon-Vallin, spécialiste de l’oeuvre de Meyerhold, a montré que la biomécanique est à replacer dans un ensemble pédagogique vaste dont font partie la danse, la boxe, la musique, l’histoire de l’art, la poésie. La formation de l’acteur meyerholdien se fait en dehors de l’école, c’est-à-dire dans les musées, aux concerts et dans la lecture. Pour Meyerhold, l’acteur doit être polyvalent, poète et engagé. Il considérait que l’acteur-acrobate au corps bien entraîné devait aussi savoir penser. Cette recherche d’une mise en conscience du jeu passe par une triple inscription à la fois historique et géographique : le comédien est invité à se situer dans le présent de son époque, dans le présent de l’oeuvre qu’il interprète, mais aussi dans le long écheveau de l’histoire du théâtre qui vise à doter l’acteur « d’une identité professionnelle où s’associent les devoirs de l’héritier à qui revient de faire fructifier l’héritage, et ceux de l’homme public dont la mission est de concentrer le quotidien pour rendre manifeste ce qui n’est pas visible, tout en communiquant au spectateur d’aujourd’hui l’énergie qui lui fait défaut et dont il a besoin pour reconstruire le monde ».

Il voyait dans le spectateur un quatrième créateur, véritable caisse de résonance de ce qui se joue dans l'espace de jeu. Et voyait l'artiste comme un penseur : « C’est avec les doigts qu’un maître-pianiste pense, mais ce qu’il fait, c’est bien penser et non taper sur un piano, que diable ! »

Meyerhold attirait l'attention sur l'importance de la personne derrière tout artiste : « Ce qui a le plus de valeur chez un acteur, c’est l’individualité. À travers n’importe quelle incarnation, même la plus habile, la personnalité doit transparaître. J’ai connu un acteur nommé Petrovski qui possédait une étonnante technique d’incarnation, mais il n’a jamais été un grand acteur, faute de personnalité. Peut-être sa personnalité était-elle quelque part en germe, mais non seulement il ne l’avait pas développée, mais il avait même complètement gommée. Il me semble que la personnalité est le point de départ commun à tous les hommes : les enfants ne se ressemblent pas. Toute éducation gomme l’individualité bien sûr, mais l’acteur doit défendre sa personnalité et la développer ».

Pour Meyerhold, la joie s’imposait comme prérequis à la création chez l’artiste. « L’acteur ne peut improviser que quand il se sent intérieurement joyeux. En dehors d’une atmosphère de joie créatrice, de jubilation artistique, il ne se découvre jamais dans toute sa
plénitude. Voilà pourquoi en répétitions, je crie si souvent aux acteurs : "C’est bien !" Ce n’est pas encore bien, ce n’est pas bien du tout, mais l’acteur entend votre "C’est bien !" et il se met à bien jouer. Il faut travailler dans la joie et la gaieté »

Pour plus d'infos, voir l'ouvrage de référence sur Meyerhod (dont sont extraites toutes les citations ci-dessus) :

ECRITS SUR LE THÉÂTRE, TOME II de Vsevolod Meyerhold. Traduction, préface et notes de Béatrice Picon-Vallin. L'Age d'homme, 422 p. 

stanislavski

Stanislavski (nom d'état civil : Constantin Sergueïevitch Alexeïev) est né en 1863 à Moscou et mort dans la même ville en 1938. Comédien, metteur en scène et professeur d'art dramatique, créateur, co-créateur du Théâtre d'art de Moscou, auteur de "Ma vie dans l'art", de "La Formation de l'acteur" et de "La Construction du personnage". 

Novateur par rapport au théâtre de son temps, plusieurs de ses élèves ont contribué à la naissance de l'avant-garde théâtrale russe du début XXe siècle, le plus connu étant Meyerhold. 

Stanislavski est toujours d'actualité de nos jours (par exemple : l'Actors Studio aux USA qui forme nombre des acteurs hollywoodiens) et reste une référence pour beaucoup de praticiens de théâtre dans le monde entier. En reconsidérant totalement l'art du jeu, il a mis en place ce qu'on a nommé la Méthode ou de Système Stanislavski.

Jouer juste, jouer vrai était la grande recherche de Stanislavski qui a privilégié une approche psychologique pour y parvenir : son enseignement est fondé sur la mémoire affective et le vécu propre des acteurs. L’acteur doit se plonger dans sa mémoire affective, s’intérioriser, créer à son personnage un passé puis jouer comme s'il vivait dans son présent.

Ancre Stanislavski
Ancre Vitez

VITEZ

Vitez a été un grand homme de théâtre, mais aussi un formidable pédagogue de la présence et du jeu.

Il considérait qu’il ne faut pas vouloir transformer les élèves, mais les prendre comme ils sont et les amener à jouer avec l’idée qu'ils se font d’eux-mêmes, car peut-être ne sont-ils pas ce qu'ils croient être. Pour lui, le travail du maître est - plutôt que d’imposer des choses - d'accoucher les gens d’eux-mêmes.

Une de ses élèves se souvient de lui comme d’un pédagogue qui était au service de la puissance que chacun porte en lui et qui l'aidait à s'en emparer, un pédagogue qui oeuvrait pour que chacun advienne à soi-même. Il citait souvent Stanislavsky : "Ne cherchez pas par la volonté rationnelle, cherchez dans la manière d'agir sur l'autre", phrase qu'il ne faut pas entendre dans un sens manipulateur, mais dans un contexte de lutte du pédagogue contre l'ego limitant de chacun. « Il fut, au sens fort du mot, un maître, mais étranger aux prérogatives habituelles de la fonction, et dispensait de véritables leçons d’énergie plus que leçons de choses » (Catherine Dolto). Vitez en appelait en effet à une « pédagogie (qui) n'inculque pas des techniques : elle invente des démarches conscientes ».

Antoine Vitez osait dire souvent qu'il ne savait pas, qu'il n'avait pas de réponse à la question qu'on lui posait. Cela donnait à l'autre le droit de savoir autant que lui. Vitez était un homme qui donnait d'emblée sa confiance, qui avait une confiance immense dans les possibilités de l'autre, dans la capacité mutuelle de fraternité et d'amélioration. Pour autant, Antoine Vitez ne sous-estimait pas les difficultés de la relation pédagogique et soulignait la différence entre laisser faire et laisser-aller, précisant qu’il appartient aux pédagogues de « faire respecter l'exactitude, créer le climat de l'assiduité, faire cesser les bavardages, les entrées et sorties intempestives ».

Il accordait une grande importance à la recherche. Avant toute chose, Vitez faisait de la  recherche avec ses comédiens sur les états de jeu et de présence. Puis, les résultats de cette recherche produisaient un spectacle et une rencontre avec le public. Il écrivait qu’ « il y a beaucoup de gens pour dire que le théâtre ne s'apprend pas. Les uns, qui méprisent tout apprentissage, rejoignent ici les autres qui ne croient qu'au génie. Culte de la spontanéité, culte de l'ineffable... Finalement c'est la même chose. Ce que cette même chose nie, implicitement ou non, c'est le travail, précisément le travail du jeu. Et qui pourrait dire qu'un jeu ne s'apprend pas ? ».

Son élève Catherine Dolto a appris avec lui que le travail artistique doit libérer le conscient et le non-conscient : « on voit très bien cela dans son enseignement. Il s'agit de se laisser imprégner par une ambiance, une lumière et en même temps comprendre au plus profond ce qui se passe là, ce qui est en jeu derrière ce qui se dit et se montre. Toujours débusquer le réel de la situation derrière la réalité offerte aux sens. Ressentir et penser en même temps dans un aller-retour incessant »

L'ensemble de ces réflexions sont extraites de l'ouvrage d'Antoine VITEZ , Écrits sur le théâtre, Paris, P.O.L, 1998, et des écrits de l'association des Amis d'Antoine VITEZ, http://amis-antoine-vitez.org

photo Jeanne Vitez
 

Ancre Mercure

MERCURE

Berthold Brecht avait eu le sentiment que sa théorie de l'acteur s'était incarnée dans le travail d'un jeune comédien, Jean Mercure. En septembre 1937, Brecht participait à la mise en scène de L’Opéra de quat’sous au Théâtre de l’Étoile à Paris. Devant la virtuosité de Mercure jouant le rôle de Filch, il écrit : "À moi, cet épisode donna l’envie de refaire du théâtre - mir machte diese episode lust, wieder theater zu machen". Il écrivit aussi :

« La distinction, suivant laquelle seuls les artistes qualifiés, doivent être appelés maîtres ne m’a jamais paru évidente. je pense qu’il y a des gens qui sont parfaitement accomplis et pourtant dilettantes* (note du traducteur : au sens de n’avoir pas de formation institutionnelle), et des maîtres qui ne sont jamais accomplis. Le jeune homme appartenait à la classe des maîtres. il jouait comme un jeune maître et répétait en tant que tel. Ce qu’il avait, il le donnait, sûr de lui, comme extrait de sa mémoire, comme quelque chose que lui-même avait déjà mis à l’épreuve, si ce n’était même quelque chose de déjà célèbre et néanmoins, il garda pendant toute la durée des répétitions, l’attitude du chercheur, d’un être ouvert à toute trouvaille, à toute critique. Et il cherchait le succès, la satisfaction du public nulle part ailleurs que là où il cherchait sa propre satisfaction. Il faisait tout pour représenter ce Filch, remarquant mon plaisir à son travail — je me transforme en public devant ce comédien qui s’intéresse vraiment à autre chose que lui-même, et je me tiens exclusivement à lui (halte ich mich), indifférent à ce que cela peut coûter — de son côté, il se tenait à moi (hielt er sich).

... un matin, il se présenta avec quelques stars dans une grande salle des costumes. Tandis que j’aidais l’actrice principale à composer des costumes, ce qui exigea plusieurs heures, je l’observais du coin de l’oeil dans sa recherche d’un chapeau. Il avait mis au travail quelque personnel dans la salle des costumes, et se trouva rapidement devant un grand tas de couvre-chefs, au bout d’une heure, environ, il avait extrait deux chapeaux dans le tas, et il s’apprêtait maintenant à faire un choix définitif. Il lui en coûta une autre heure. Je n’oublierai jamais l’expression torturée qui couvrait son visage expressif de crève-la-faim. Il ne parvenait pas à se décider. Hésitant, il prenait un chapeau et le considérait avec l’expression d’un homme qui place ses derniers sous, fruit d’une longue épargne, dans une expression désespérée, irrévocable. Hésitant, il le reposait, en aucune manière comme quelque chose qu’on ne reprendra plus jamais. Naturellement, le chapeau n’était pas parfait, mais peut-être était-il le meilleur des chapeaux disponibles. Par ailleurs, même s’il était le meilleur, il n’était pas parfait. Et il se saisissait de l’un, de l’autre, le regard encore posé sur celui qu’il écartait. Peut-être avait-il des qualités qui se situaient à un autre niveau que les faiblesses de l’autre. C’est ce qui rendait le choix si ardu. Car, voilà, il existait des nuances dans la déchéance, invisibles à l’oeil paresseux. Je le vis fermer les yeux, comme si, debout, il plongeait dans le sommeil. Il récapitulait les différents stades de la déchéance. Et ouvrant de nouveau les yeux, apparemment sans avoir trouvé de solution, il posait mécaniquement le chapeau sur la tête. […] [L’artiste, déchiré de doutes, fouillant désespérément dans ses expériences, torturé par le désir presque impossible à apaiser de trouver l’ u n i q u e chemin, comment il pouvait représenter sa figure], montrer en quatre minutes, tous les destins et tous les attributs de sa figure, un fragment de vie. […]

(c) Article de Félie Pastorello-Boidi©Théâtre/Public

 

BALACHOVA

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tania Balachova est une comédienne française d'origine russe, née le 25 février 1902 à Saint-Pétersbourg et morte le 4 août 1973 en France. Elle fait ses études d'art dramatique au Conservatoire royal de Bruxelles, puis travaille en 1928 avec Antonin Artaud, qui tente une autre approche du travail de l'acteur.

Passionnée de pédagogie, elle commence à enseigner l'art dramatique en 1945 au théâtre du Vieux-Colombier puis au théâtre de l'épée de bois.Elle est très proche de la méthode du réalisme psychologique de Constantin Stanislavski ; son théâtre-école est très réputé, la formation proposée est complète tout en rompant avec l'académisme, et sera reprise par Lee Strasberg à New York au sein de l'Actors Studio fondé en 1947 où de nombreux artistes du cinéma américain recevront ce genre d'enseignement.

Une pléiade d'artistes français est issue du cours Balachova : Niels Arestrup, Stéphane Audran, Darry Cowl, Robert Hossein, Tatiana Moukhine, Daniel Emilfork, Reine Bartève, Michael Lonsdale, Catherine Sellers, Antoine Vitez, Delphine Seyrig, Laurent Terzieff, Denise Péron, Véronique Nordey, Jean-Louis Trintignant, Douchka, Raymond Devos, Roger Hanin, Dominique Lavanant, Bernard Uzan, Didier Flamand, Claude Giraud, Loleh Bellon, François Berléand, Claire Magnin, Pascale de Boysson, Maurice Garrel, Daniel Ceccaldi, Josiane Balasko, Jean-Claude Dreyfus, Sylvie Joly, Pierre Arditi, Zouc, Bernard Fresson, Pierre Debauche, Anne Vernon, etc.

C'est toute une génération d'acteurs et comédiens qui sera formée par Tania Balachova entre 1945 et 1973. 

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Le cours d'art dramatique de Tania Balachova - 1964

Le cours d'art dramatique de Tania Balachova - 1964

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Balachova
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